11 novembre 1918 – 11 novembre 2018

« La guerre, (…) Je vois des ruines, de la boue, des files d’hommes fourbus, des bistrots où l’on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d’arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix. »

Roland Dorgelès, il voyait déjà la Butte rouge.

11 novembre 1918 – 11 novembre 2018

17 millions de morts dans ce conflit mondial. Le temps de la mémoire des Européens, le temps de la mémoire des jeunes ! Pourquoi commémore-t-on ? Pourquoi tant de gens ont-ils des réserves sur le travail mémoriel ?

On commémore parce que la République se doit d’honorer ses enfants tombés pour la liberté, alors qu’on avait largement endoctriné les Français sur la vengeance, la revanche, la reconquête de l’Alsace-Lorraine, côté français. Et côté allemand,…les nationalistes et les généraux de l’empereur Guillaume voyaient dans la guerre la solution à leur survie, à l’extension de la puissance prussienne et la dislocation des gauches.

Cette guerre fratricide de quatre ans a ravagé l’Europe et plus tard on apprendrait qu’elle a porté en elle les germes d’une autre guerre tout aussi mortifère et l’holocauste.

Selon la formule, « les guerres sont décidées par des gens qui se connaissent (« les profiteurs de guerre ») et qui ne s’affrontent pas et faite par des gens qui s’affrontent et qui ne se connaissent pas ». Voilà un résumé aussi réaliste que cynique de la situation. Oui, les guerres, souvent décrites comme le prolongement de la politique, tuent les innocents, dépouillent les nations, ruinent les pays. C’était vrai en 1914-18, cela reste vrai aujourd’hui. La réconciliation franco-allemande réalisée, il faut bien se souvenir pour connaitre son Histoire et cela est la condition pour construire l’avenir dans un esprit pacifique et humaniste.

Ce 11 novembre 2018, comme chaque année, l’ambassade de France et sa Mission militaire organisent à Berlin une cérémonie commémorative.Celle-ci se tient toujours devant la Julius-Leber-Kaserne, proche du Kurt-Schumacher-Damm (ex-Quartier Napoléon, pour nos amis installés à Berlin depuis longtemps) depuis la relocalisation du souvenir et l’érection d’une stèle commémorative.

Une revue des troupes, la remise de décorations, un discours du général attaché de défense, un dépôt de gerbes suivi des hymnes nationaux, français, allemand et européen ponctuent cette cérémonie qui a fini par trouver toute son ampleur par le nombre de participants et par la présence d’une délégation des élèves et enseignants de l’École primaire Voltaire.

Pour assurer la participation des enfants il a fallu convaincre les responsables de l’école au Conseil d’Établissement et gagner l’appui des autorités diplomatiques. Je me souviens bien des discussions délicates et des courriers échangés pour arriver à ces fins. Il est quand même curieux que personne n’y ait pensé par le passé. L’ambassade était à Bonn, le consulat laissait faire quelques personnes et on avait à Berlin sans doute une vue trop passéiste… Pour qui a dans les années 90, début 2000 assisté aux commémorations du 8 mai et du 11 novembre il était effectivement clair que l’avenir était derrière nous… Et il fut nécessaire que l’Ambassadeur de l’époque, M. Martin, réforme le dispositif et lui redonne toute sa dignité puisque l’Ambassade venait de s’installer à Berlin.

En cette année du centenaire de l’armistice, un piquet d’honneur de la brigade franco-allemande sera présent dimanche prochain, les représentants des pays belligérants, souvent là de toute façon, ont été invités en nombre. Ce sont les deux points nouveaux du dispositif particulier cette année. Nous n’avons pas d’autres informations, ni sur des rencontres avec le public scolaire, ni invitation à d’éventuels évènements relatifs à la « Grande Guerre », mais nous sommes fiers d’avoir réussi à associer les enfants au travail de mémoire. À eux, un jour, de concevoir les nouvelles formes du souvenir et de créer les conditions du vivre ensemble dans une Europe en paix.

En attendant, dimanche 11 novembre, 11h, donc si vous souhaitez nous rejoindre, Français du monde ADFE Berlin et nouveaux Länder sera fidèle au rendez-vous et votre conseiller consulaire aussi. pl

50 ans d’amitié franco-allemande

L’unanimisme des congratulations s’imposera-t-il sur les différences inattendues ?

Si les commémorations font partie de nos rituels politiques et sociaux elles cachent trop souvent le quotidien des contradictions et des malentendus, pour reprendre le titre de l’ouvrage dirigé par Jacques Leenhardt et Robert Picht (Au jardin des malentendus, le commerce franco-allemand des idées, Babel, oct.1997). Ces malentendus franco-allemands risquent par leur caractère de jeter une ombre sur nos perceptions communes, sur nos vécus, de mettre la sincérité de l’amitié à l’épreuve. Il faut donc leur porter attention car la relation amicale franco-allemande a besoin d’être comprise et acceptée dans sa globalité, elle doit faire face à ses désaccords constatés plutôt que de laisser le champ libre aux non-dits. Nos dirigeants en ont-ils déjà été capables ?…

… Chacun a à l’esprit les clichés encore véhiculés aujourd’hui : l’Allemand, travailleur et discipliné, un peu tristounet, le Français, décontracté, accommodant et quelque peu imbu de sa personne… Qui y voit le portrait en gloire de la chancelière ou du président de la République se prend les pieds dans le tapis (rouge). Près des tapis rouges justement, arrêtons-nous. Ils vont être déroulés tout prochainement. D’après quelques observations contradictoires – de portée symbolique – je l’assume, France et Allemagne nous livrent un bien déconcertant message visuel.Rouge et or. Quand on évoque les ors de la république, on sait tout de suite de quel pays on parle. Un beau film vient d’ailleurs de donner une interprétation succulente aux saveurs du palais. Imagine-t-on filmer avec tant de poésie les cuisines de Madame Merkel ? Non, aucun réalisateur ne s’y est risqué, le stéréotype a la vie dure. Par contre, un chancelier a déjà écrit un livre de cuisine. François Mitterrand aurait-il manqué une occasion de nous régaler ? En fait, les ors de la république étincellent pour mieux laisser vivre leurs secrets et même peut-être les plus inavouables. Pas toujours adaptés à l’épure de la modernité, ils focalisent l’attention pour normaliser le contenu en quelque sorte. Et depuis des lustres, dans une ambiance feutrée, les épais tapis absorbent les bruits de couloirs tandis que dans les cours d’honneur, sous les pas, les gravillons crépitent. Les gravillons crépitent, les ors étincellent, c’est une chose entendue. Vive la France !
Côté allemand par contre un premier cliché est mis à mal, celui de la supposée sobriété. En effet, un apparat obligatoire, particulièrement subtil et solennel, existe dans cette république : c’est le cérémonial, inconnu en France, de la prestation de serment des nouveaux ministres, tant au niveau des Länder qu’au niveau fédéral. Prêté publiquement à la tribune du président de l’assemblée parlementaire idoine dans le cadre d’une cérémonie assez ostentatoire, avec en option une mention religieuse, ce serment en dit long sur les prudences constitutionnelles, sur le respect de l’éthique et de l’histoire. Mais est-ce une garantie contre l’incompétence et la corruption ? On ne badine visiblement pas avec la mise en scène en Allemagne. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?
Autre signe distinctif et surprenant de solennité des nouvelles équipes ministérielles en Allemagne : le dress-code fédéral. Il déconcerte. Les ministres pour leur entrée en fonction sont tous et toutes (!) de noir vétu(e)s. Guindés comme de jeunes diplômés des high-schools, ils reçoivent leur décret de nomination dans un beau parapheur ; de même, la classe politique en son entier commémore pompeusement avec noirceur pour les fameux „Staatsakte“ ou pour la fête nationale. Ce deuil vestimentaire est-il une marque de soumission à l’autorité (Obrigkeit), un gage à l’influence protestante,…? Il rajoute certes de la rigueur mais également de la majesté à la vie politique allemande qui, finalement, se résume souvent à du noir sur un fond gris. Le gris l’emportant, hélas, pour les décors, certes accessoirement fleuris. Sous le menaçant aigle impérial républico-fédéralisé évolue une Allemagne contemporaine et figée dans une architecture de béton décoffré, une Allemagne à vrai dire peu flamboyante, mais ô combien tatillonne sur le protocole. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?
En France, la tenue noire très stricte habillait Arpagon ou les veuves de guerre, elle n’est pas très en vogue sur les escaliers donnant sur la grille du coq. Les gouvernements français ne renoncent aux fantaisies personnelles de la couleur que pour les enterrements, et encore. Il ne s’agirait pas d’être confondu avec un huissier, métier dont la noblesse est bien souvent méprisée par ceux qui les croisent.
Si lors des commémorations du cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, la chancelière, un peu tristounette et le président de la république, un peu accommodant avec les principes, s’en tiennent à maintenir l’unanimisme des apparences ou à flatter des convergences a minima, nul doute que les malentendus franco-allemands ont encore de l’avenir. Qu’ils abordent donc plus franchement leurs désaccords sur la construction européenne ou l’orthodoxie budgétaire, sur les droits sociaux de leurs citoyens ou la place de la culture. Qu’ils aillent de l’avant. Et surtout dès 2013, allégeons le protocole en Allemagne et introduisons la prestation de serment en France. Religion mise à part, il ne faut rien exagérer. pl